En souvenir de Patrice Duvic

Publié le par Cousin Francis

    Le 25 février dernier a disparu Patrice Duvic. Je l’ai appris le jour même, au détour d’un mail de Patrick Gyger. Dès le lendemain, la triste nouvelle avait fait le tour de l’internet – même la fiche de Wikipédia consacrée à l’auteur et éditeur avait été aussitôt mise à jour.

    Patrice Duvic était un compagnon de route très lointain.

    A la fin des années septante, nous avions échangé quelques lettres. Il m’avait envoyé un ou deux exemplaires de L’Ami du Poulpe, un fanzine qu’il avait réalisé dans les années soixante, retrouvés dans ses archives – Duvic avait participé au fandom de ces années-là, publiant par exemple des textes dans Lunatique. J’avais cru comprendre, à ses courriers, qu’il était alors plus ou moins bouquiniste sur les quais, à Paris – il semblait ne pas tenir à en parler.

    Je me souviens d’une remarque à propos des collectionneurs, de la SF ancienne, du fait qu’il n’existait pas de répertoire bibliographique de l’ensemble de la SF, que plein de choses n’étaient pas rééditées, ne le seraient jamais et finiraient par être oubliées… Il m’avait dit quelque chose comme « Non, parce qu’à nous tous on a tout ! ». Ca voulait dire qu’il était possible que rien ne se perde, à condition que les collectionneurs et archivistes, dans leur ensemble, fassent en sorte que la mémoire du genre ne disparaisse pas avec eux, simplement en acceptant de partager leurs informations. Vœux pieux parce qu’on sait que la plupart des collectionneurs gardent jalousement leurs petites découvertes…

    Peu après, je me suis retrouvé rédacteur en chef d’Opzone, un magazine de SF professionnel réalisé au fin fond de l’Aube, dans un village de onze habitants, et pourtant diffusé sur le plan national. Michel Jeury, lui aussi provincial (il était à l’époque gardien d’un château près d’Issigeac, où les propriétaires venaient passer quelques semaines par an) et alors un ami très proche, me proposa d’animer une rubrique titrée S.O.S. – pour Self Opzone Service. Il se chargeait de demander à des auteurs ayant récemment publié un roman qui l’avait intéressé, de rédiger quelque chose – avec carte blanche. C’est ainsi que je publiai dans Opzone un texte de Patrice Duvic qui venait de publier deux romans que j’avais appréciés : Poisson-Pilote en Présence du Futur et Naissez, nous ferons le reste en Presses Pocket SF.

    Nous nous sommes peu après perdu de vue.

    J’avais la sensation (peut-être parfaitement fausse) que Patrice Duvic appartenait au « clan » des professionnels parisiens fréquentant des lieux où les zozos de mon espèce étaient très mal venus, genre le Festival de Metz, haut-lieu du champagne et des petits fours, ou les fameux « déjeuners du lundi » – dans un restaurant du Quartier Latin où la fine fleur de la SF parisienne se retrouve pour manger mal et cher. Et puis il travaillait pour ces éditeurs parisianistes méprisants. A l’époque, j’étais un fan pur et dur de SF, empli de certitude et campant sur ses positions, éditant à tour de bras des fanzines et évoluant dans le fandom, allant aux conventions de SF (où je n’ai pas souvenir d’avoir jamais vu Duvic)… Je n’avais aucune activité professionnelle dans la SF, je gagnais un peu d’argent en étant musicien et bouquiniste Pour moi, les éditeurs parisiens, c’était l’ennemi méprisant et donc méprisable, arrogant et donc à condamner avec une même morgue ! Avec le recul, je crains que c’était peut-être bien moi qui, en cultivant cette posture de rebelle affiché, était à l’époque le type méprisant et arrogant, en plus de cultiver une bonne dose de parano !

    Par la suite, quand j’ai commencé à publier des nouvelles de manière plus professionnelle (chez J’ai Lu ou Denoël) ou des traductions (pour Ailleurs et Demain, ponctuellement), je n’ai fait que suivre une espèce de mouvement général et générationnel – pour simplifier on dira que les gens de ma génération (et quelques plus jeunes comme Gilles Dumay) prenant peu à peu le pouvoir dans l’édition de SF, ils avaient tendance à faire appel à des gens comme moi qu’ils avaient connus et appréciés au cours de leurs années de fandom.

    J’ai donc commencé à fréquenter des lieux comme… les déjeuners du lundi ! (Oh, j’ai du y aller deux fois, trois peut-être, mais c’est pour ça que je sais que c’est cher et mauvais !) – à me retrouvai invité au Salon du Livre de Paris, au Festival de Nancy ou celui d’Epinal (celui de Metz n’existant plus) ou, de manière quasiment chronique, aux Utopiales de Nantes.

    Evidemment, j’y croisais à chaque fois Patrice Duvic – en général fort occupé à interviewer des auteurs anglo-saxons. On ne s’est jamais parlé. On ne se disait même pas bonjour. Les rares fois où j’eus la sensation qu’il m’aurait bien dit bonjour, je me débrouillai pour faire celui qui ne l’avait pas vu – et les tout aussi rares fois où je me disais que c’était trop con et qu’au moins, à défaut d’être potes, on pouvait au minimum se saluer, je n’arrivai pas à accrocher son regard car il était tout aussi fort que moi dans l’art et la manière de ne pas voir qui il souhaitait ne pas voir. Il n’y a pas d’explication à cela. Ca n’a pas de sens.

    En somme, notre relation – qui avait pourtant existé à une époque lointaine – n’avait pas survécu à des années sans occasion ni motif de se rencontrer ; et quand elle aurait pu redémarrer puisque nous nous étions mis à fréquenter les mêmes lieux, il ne se passa rien. Sans doute a-t-il manqué un médiateur, quelqu’un qui m’aurait dit « viens, on va boire un coup avec Duvic » ou qui lui aurait dit « viens, on va boire un coup avec FV ».

    C’est con.

    Quand Jacques Chambon souhaita rééditer l’anthologie de cyberpunk Demain les puces que Patrice Duvic avait réunie pour Présence du Futur, Gérard Klein ne souhaita pas laisser au sommaire son texte. Il y avait donc un trou. Chambon me demanda si j’acceptais qu’il publie, à la place du texte de Klein, ma novella BumpieTM dont il m’avait dit, à plusieurs reprises, qu’elle le fascinait – il était l’un des rares à aimer ce texte, démoli par la critique française. Cette novella, sans doute un des premiers textes relevant de l’esthétique du cyberpunk écrit par un auteur français, avait été publiée dans Univers, récompensée par le Prix Rosny, et publiée aux USA dans une anthologie réunie par Robert Silverberg. Je répondis à Chambon que j’étais bien sûr d’accord, mais en précisant que je n’étais pas spécialement copain avec Duvic… Je ne me souviens pas précisément de ce que Chambon me répondit – dans mon souvenir, je crois que Duvic lui avait fait savoir qu’il s’en foutait, qu’il n’avait pas lu mon texte et qu’il laissait Chambon (le patron !) faire ce qu’il voulait. Souvenir très probablement orienté et parano à souhait. Si ça se trouve, Duvic avait lu le texte, l’avait trouvé bien et avait donné son accord avec plaisir. Mais comme Jacques Chambon a également tiré sa révérence, on ne saura jamais.

    Oui, Patrice Duvic était un compagnon de route très lointain. Mais il n’aurait tenu qu’à moi de réduire la distance nous séparant – un tout petit effort aurait suffi. On croit toujours qu’on a le temps. On se trompe.

    Terminons par une note d’humour – je me souviens avoir vu Patrice Duvic rigoler plus souvent qu’à son tour ! Cette histoire en définitive assez triste d’une non-rencontre me rappelle ce commentaire que Jacques Goimard – dont tout le monde pensa longtemps qu’il transmettrait son empire éditorial au dévoué Patrice Duvic… mais c’est une autre histoire – me fit lui aussi plus souvent qu’à son tour : « La parano, il n’y a rien de pire ! ».

    Ca c’est bien sûr ! Et Dieu sait qu’il s’y connaît en parano, l’ami Goimard !

                                                                       Francis Valéry



Note : ce texte figure en éditorial du n°161 d'A&A, daté mars 2007 ; j'ai sorti le premier numéro de cette petite revue de SF en mars 1977, aussi ce numéro devait être un Spéial Trentième Anniversaire. La triste actualité en a décidé autrement et A&A 161 est un hommage à Patrice Duvic, avec des rééditions de plusieurs textes ; le tirage est de quarante exemplaires : si par hasard un des lecteurs de ce blog souhaitait se procurer ce numéro, il lui suffit de m'adresser 3,50 euros - mon adresse figure dans l'article titré Blificc 3).

Publié dans Chic Planète !

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D
J'ai rencontré Patrice de nombreuse fois, il m'inspirai énormément de sympathie. Je le savais malade.Je l'ai rencontré vers 1990, il est plusieurs fois venu dîner chez moi et ma compagne avec Jacques Goimard. Je les ai photographié tous les deux. La dernière fois que je l'ai vu c'était à l'entrée du salon du livre, nous devions boire un verre ensemble. Je ne l'ai jamais revu hélas. Lorsque j'ai apris sa disparition il y a quelques mois j'ai été très touché. Je me rappelle des bons moments en sa compagnie.
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P
Salut Cousin,  En novembre dernier, j\\\'ai eu l\\\'occasion de me rendre à Sainte Croix (en fait, dans le hameau des Rasses, un peu au-dessus) pour un congrès professionnel.  Hôtel de première bourre, je dois le dire, qui m\\\'a réconcilié avec la gastronomie helvète. Mais revenons à notre train-train (panoramique) : celui que j\\\'ai pris était tout moderne, pas de cuir fauve en vue, mais des vitres gigantesques pour admirer le paysage (qui en vaut la peine). Et j\\\'ai eu l\\\'impression qu\\\'il partait d\\\'un quai situé à l\\\'ouest de la gare d\\\'Yverdon, pas à l\\\'est.  En tout cas, du côté "ville" de la gare. Mais je peux me tromper, et là, on est dans le détail le plus détailleux.    Par contre, il importe de dire une chose : ce train d\\\'Yverdon à Sainte Croix est géré par une compagnie qui n\\\'a que cette unique ligne, avec son parc de deux ? trois ? motrices.  Et ça marche. Et ce n\\\'est pas un cas isolé en Suisse : la structure du pays, et de ses transports, permet, à côté des chemins de fer fédéraux et des multiples lignes de car de La Poste, l\\\'existence d\\\'une foule de chemins de fer d\\\'intérêt local, privés ou gérés par les collectivités locales. Et on peut aller partout en transport en commun, même dans le chalet de vacances de Pascal Ducommun, en pleine montagne valaisanne. En France, les chemins de fer locaux ou régionaux ont été nationalisés, on attend tout de l\\\'Etat, et résultat : les lignes locales sont supprimées, et il y a une multitude de villages que l\\\'on ne peut jamais atteindre par des transports en commun.    J\\\'ai l\\\'air de m\\\'éloigner du sujet, mais j\\\'y reviens : si, comme tu le remarques, il y a dans le domaine francophone moins d\\\'auteurs actifs et intéressants dans l\\\'état français que dans les autres communautés francophones, ce n\\\'est pas dû, à mon avis, au talent  supérieur de ces communautés, mais à l\\\'étouffement du talent dans l\\\'état français — tout simplement parce qu\\\'il est trop gros, et trop unitaire. L\\\'écrivain néophyte devra se comparer avec une population dix fois plus grande, et affronter l\\\'idée reçue que la réussite veut dire être le premier dans cette Rome obèse. Le système ne laisse tout simplement pas de place visible à la plupart des créateurs, alors pourquoi se fatiguer quand il y a tant de semblables talentueux et installés... J\\\'ai eu l\\\'occasion de vérifier cet effet stimulateur de créativité  du petit nombre dans plus d\\\'un cas. Un exemple frappant : l\\\'incroyable vitalité de la scène musicale islandaise. Alors qu\\\'il n\\\'y a en tout et pour tout que 300 000 Islandais. Oui, tu me diras, on croit qu\\\'ils aiment la musique, mais en fait ils tapent du pied pour se réchauffer...    A plus,  -PJT
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P
Bonjour<br />  <br /> Message personnel à Jean-Jacques Nguyen de la part de Philippe Ward, tu peux me donner ton adresse internet, je voudrais t'écrire. Si jamais la mienne est api13@aol.com<br /> Merci<br /> Philippe Ward
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C
Hé les filles, si je vous gêne faut le dire ! ;o))) A mon avis, le Ward il veut proposer au Nguyen de sortir un recueil de lui en Rivière Blanche... Je me trompe ?
J
Salut Francis,Je n'ai pas connu Patrice Duvic. Je ne connais pas le milieu que tu décris. Mais ce qui me bouleverse dans ce que tu écris, c'est les circonstances de cette "non-rencontre".Une non-rencontre à l'image de nos vies à tous... et des tonnes de regrets qui ne peuvent rien changer, une fois que la mort accomplit son oeuvre... :-(
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A
En l'occurence, il y a bien une convention à laquelle se rendit Patrice — et ce'st là que je le rencontrai. Figure-toi, c'est ironique, qu'il s'agissait... de la convention de Bordeaux, celle que tu devais organiser! (rire taquin) :-)<br /> <br /> Patrice me dédicaça "Poisson-pilote" dans l'exigue libraire "Futur au présent", rue des Bahutiers.
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